dimanche 3 août 2014

Perquisition Informatique (Vision Technique et Juridique)

Perquisition informatique (vision technique et juridique)

   
I. ORIGINE :

Le législateur a pris en considération les « données informatiques », en les intégrant dans les dispositions de l’article 56 du code de procédure pénale, lequel dispose (extrait) : « Si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés, l‘officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y procéder à une perquisition dont il dresse procès-verbal ».

Auparavant les dispositions de l’article 56 n’y faisaient pas référence. Cette évolution législative est issue de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 dite Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique quant à la terminologie. L’’accès à des données distantes contenues sur un système informatique est issu quant à lui des dispositions de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003, dite Loi sur la Sécurité Intérieure (L.S.I).

Antérieurement aucune disposition n’existait, et c’est pour ce mettre en conformité avec les dispositions de l’article 19 de la Convention Cybercriminalité de BUDAPEST du 21.11.2001 que le législateur les insérées dans ces deux lois. Bien qu’un acte de perquisition sous entende qu’il s’applique à un bien immobilier, beaucoup de services d’enquêtes s’interrogent sur l’exploitation d’un appareil numérique trouvé sur un tiers.

II. LA FORME : 
 
Celle-ci doit-elle s’apparenter ou  non simples constatations où à une perquisition, et si oui, doit-elle en respecter la forme ?
 
Les services d’enquêtes agissent avec précaution en réalisant une telle exploitation sous forme de perquisition pour d’une part se prémunir d’une contestation, et d’autre part ne pas porter atteinte aux droits de la défense, alors que la rédaction du premier alinéa de l’article 76 du Code de procédure pénale est extrêmement clair sur ce sujet : « Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction ne peuvent être effectuées sans lassentiment exprès de la personne chez laquelle lopération a lieu ».
 
Dans le cas de la Flagrance, ou de l’exécution d’une commission rogatoire l’assentiment express n’est pas exigé. En préliminaire, une autorisation de perquisition sans assentiment peut être délivrée par le JLD sous certaines conditions (infractions dont la peine est supérieure à 5 ans d’emprisonnement). Il doit être formulé comme le prévoyait l’article 127 du Décret Organique du 20 mai 1903 sur l’organisation de la Gendarmerie : « sachant que je puis mopposer à la perquisition de mon domicile, je consens expressément à ce que vous y opériez les perquisitions et saisies que vous jugerez utiles à lenquête en cours ». La personne objet de la perquisition se doit donc d’écrire cette formule sur un document, qu’’elle date et signe.  L’idée principale de cette formulation est d’obtenir l’accord volontaire de la personne. Celle-ci peut toutefois s’abstenir, mais les enquêteurs peuvent alors passer par la perquisition sans assentiment (via le J.L.D).
 
Cependant, certains magistrats ont une vision différente dans un souci de simplification,  considérant que l’exploitation d’un téléphone portable ou tout autre appareil nomade s’apparente à de simples constatations. Ils considèrent que celles-ci peuvent être réalisées en présence ou non de la personne mise en cause sans que ça remette en cause la validité de l’acte de procédure établi par l’officier de police judiciaire.
 
 
III. Larrêt de la Chambre de lInstruction de GRENOBLE.
 
Cependant, celle-ci n’est plus recevable depuis une décision récente de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de GRENOBLE de 2008 [1] pour l’aspect informatique. Un cas de jurisprudence plus ancien, avait reconnu que la fouille d’un portefeuille s’apparentait à une perquisition [2]. La décision de 2008 a amené un début de réponse.
 
Depuis des années, magistrat, enquêteurs s’interrogeaient sur la forme juridique de simples constatations sur un téléphone portable. Il était conseillé de faire un simple procès-verbal de constatation indiquant les éléments découverts, principe découlant de l’article 429 du Code de procédure pénale, qui dispose : “qu’un procès-verbal est régulier en la forme, si son rédacteur a agi dans l’exercice de ses fonctions, sur une matière de sa compétence et a rapporté ce qu’il a constaté“.
Arguant du fait que l’assentiment express du possesseur de l’objet n’étant pas nécessaire, puisqu’’il ne s’agit d’une part pas d’un domicile, et d’autre part d’un objet qui ne se trouvait pas dans un domicile.
 
Le principe de la perquisition est de rechercher au domicile d’un tiers des objets ou documents susceptibles de servir à la manifestation de la vérité. Dans ce cas précis, il s’agit de constater la présence d’information immatérielle sur un support matériel. D’autres magistrats préconisent de recueillir suivant le cadre d’enquête l’assentiment express de la personne considérant d’une part qu’’il s’agit d’une perquisition et que dans un souci de respect de la vie privée, et conformément à l’article 6 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il convient de le faire de manière contradictoire en présence de la personne mise en cause.
 
Cette action permet ainsi de prémunir l’enquêteur de tout recours sur la légalité de son acte et sur les autres actes de procédures qui vont en découler. La décision de la chambre de l’instruction ne manque pas d’intérêt. En outre, elle évoque un principe de proportionnalité entre l’acte commis initialement et la nature de l’opération envisagée par l’enquêteur. (Se justifie telle ?)
 
Le 24 novembre 2006 à 22 heures 15, suite à un refus d’obtempérer, un individu est placé en garde à vue pour ce délit routier. Il s’agit d’une infraction instantanée qui repose principalement sur la volonté de son auteur à refuser de se soumettre aux injonctions des agents de la force publique, et sur les constatations de ceux-ci. Hors lors de cette affaire, le fonctionnaire de Police ayant réalisé la « fouille sûreté décide de vérifier si le téléphone portable qu’’il a découvert n’était pas volé en recherchant l’IMEI du téléphone. Il s’agit du numéro d’identification unique de l’appareil qui vient de l’acronyme anglais « International Mobile Equipment Identity» .  Cette manipulation peut se faire de deux manières :
- en consultant l’étiquette présente sous la batterie du téléphone.
- en tapant la commande *#06# sur l’écran de celui-ci.
 
L’enquêteur va beaucoup plus loin dans  sa démarche intellectuelle en consultant les photos présentes sur l’appareil. Il découvre « incidemment » selon les termes figurant dans l’arrêt une vidéo montrant un individu entrain de manipuler une arme avec un chargeur. Une enquête préliminaire pour ces nouveaux était donc ouverte (appelée procédure incidente) et une analyse approfondie du téléphone sera réalisée par la suite.  Il en résulta la découverte de véhicules en feu, avec des individus dégradant des véhicules dont l’un deux était armé.
 
L’enquête permet de retracer les différents propriétaires dudit téléphone, jusqu’’à l’identification de l’individu armé. Interpellé, il reconnait les faits et dénonçait son co-auteur. Les deux personnes étaient mises en examen par le juge des enfants en raison de leur minorité. Par requête en date du 07 février 2008, l’avocat de l’un des mis en examen sollicite l’annulation des procès-verbaux ainsi que l’ensemble de la procédure subséquente aux motifs que les investigations opérées sur le téléphone de l’auteur du refus d’obtempérer ont été réalisées en dehors de tout cadre juridique et sans respecter le principe de nécessité et de proportionnalité évoqué précédemment.
 
Il était fait état des arguments suivants dans l’arrêt. Le téléphone était placé dans la fouille de la personne placée en garde à vue suite à une « palpation de sécurité. Celle-ci n’a pas pour objet de rechercher des traces ou indices d’une infraction, mais simplement de s’assurer que la personne n’est porteuse d’aucun objet susceptible de nuire à lui-même ou aux enquêteurs.
 
Dans ce cas d’espèce le téléphone n’a ni été saisi, ni placé sous scellé et la recherche effectuée sur ce téléphone s’assimile à une perquisition exécutée sans autorisation de son propriétaire et en dehors de sa présence. Pour justifier son action, le policier à l’origine de cet acte a produit une note de service administrative recommandant aux fonctionnaires de police de lutter contre le recel. Il s’est simplement contenté d’établir un procès-verbal de constatation.
 
Cependant, la procédure initiale ne justifiait en aucun cas une analyse du téléphone portable de la personne mise en cause pour un refus d’obtempérer, d’autant plus qu’’aucun indice apparent ne laissait  présumer que ce téléphone était d’origine douteuse. A ce titre, les investigations réalisées sur celui-ci peuvent ainsi constituer une atteinte injustifiée à l’intimité de la vie privée.
A juste titre, l’avocat, a sollicité l’annulation des procès-verbaux de renseignements établis les 24 et 25 novembre 2006 ainsi que de l’ensemble de la procédure subséquente. L’avocat général a requis l’annulation du procès-verbal et de l’ensemble des actes postérieurs, exposant que si la fouille de sécurité dans les affaires de la personne placée en garde à vue était justifiée, les investigations opérées sur le téléphone portable ne l’étaient pas car elles ne s’inscrivaient pas dans un cadre juridique défini.
 
La décision de la chambre de l’instruction fut de recevoir la requête en annulation de pièces. Elle prononça l’annulation des deux procès-verbaux initiaux, mais également tous ceux qui en avaient découlé, ainsi que les auditions des intéressés placés sous scellés du faite de leur minorité. Elle est malheureusement quasiment passée inaperçue auprès des enquêteurs spécialisés qu’’il s’agisse des policiers ou des gendarmes, mais également des magistrats des autres ressorts alors qu’’elle présente un réel intérêt.
 
IV. CONCLUSION :
 
Il en résulte donc que l’exploitation d’un support numérique qu’’il s’agisse d’un téléphone portable, d’un disque dur ne peut être réalisée que dans une cadre légal permettant de respecter les droits de la défense, et qu’’il doit exister un principe de proportionnalité entre les faits et les actes réalisés par les enquêteurs. Deux axes peuvent donc être définis, s’agissant des opérations réalisées soit par les enquêteurs dans le cadre de leurs pouvoirs de police judiciaire sous forme de perquisition, soit par le biais de techniciens requis à cet effet comme nous l’avons évoqué précédemment.
 
a) la perquisition avec saisie provisoire :
 
Pour le premier axe, l’acte doit être réalisé sous forme de perquisition, en la présence constante de la personne chez laquelle l’opération de perquisition a été réalisée. Pour les problèmes de saisies et de bris de scellés, il est nécessaire que l’OPJ agisse dans le cadre d’une saisie provisoire telle qu’’elle est prévue par le troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale qui dispose :
« Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font lobjet de scellés fermés provisoires jusqu’au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition suivant les modalités prévues à larticle 57 ».
 
La finalité de cette opération est de procéder à inventaire. Une analyse d’un support numérique n’est destinée qu’à inventorier les éventuelles données qu’il contient, qu’’elles soient présentes ou effacées. Contrairement à des feuilles papiers que nous pouvons toucher, compter, les données numériques ne peuvent être appréhendées de la même manière.
 
Dans le cas des nouvelles technologies, un disque dur ou tout support numérique doit être considéré comme un «contenant » avec du « contenu » qui peut-être de différente nature, il s’agit des fichiers.
 
La perquisition sur celui-ci visant simplement à inventorier les données susceptibles de servir à la manifestation de la vérité. Dans cet esprit, le législateur a précisé qu’’en matière de données informatiques, il peut être procédé à des copies de celles-ci, comme mentionné au troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale, qui dispose :
 
« Il est procédé à la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation de la vérité en plaçant sous-main de justice soit le support physique de ces données, soit une copie réalisée en présence des personnes qui assistent à la perquisition ». Il convient de préciser que le type de copie n’a jamais été précisé, et qu’une simple copie de fichiers vers un autre support entraine de facto une modification des attributs du fichier, pouvant fausser une analyse ultérieure.
 
La solution employée par les spécialistes de l’investigation numérique est de générer des images compressées du support dans un format dit Forensics style E01. (Encase)[3].  Le disque dur initial est tronçonné en tronçons dont la taille est paramétrable qui sont compressés. La lecture de ce format ultérieurement n’entraine pas de modifications des données qui sont contenues dans ce type de conteneur.
 
Il en résulte que les actes de procédures doivent être établis sur le champ mais les objets saisis doivent être placés sur les lieux de la perquisition que ce soit à titre définitif ou provisoire sous scellés, et ce application des articles 56 et 66 du Code de Procédure Pénale sous peine de nullités. Chaque acte de procédure en Enquête de Flagrance et lors de l’exécution d’une CR doit fait l’objet d’un procès-verbal séparé (Art D.10 du CPP).
 
a) la perquisition avec saisie définitive et le recours à une personne qualifiée pur un examen technique :
Le deuxième axe étant celui de la saisie définitive en enquête préliminaire et en  Flagrance par l’OPJ du support numérique, avec le recours à une personne requise pour l’analyser. Les dispositions de l’article 60 du code de procédure pénale, lui permettra de briser le scellé. Cependant cette disposition n’est pas applicable en commission rogatoire [4]. En effet, le bris de scellé n’étant que de la compétence de l’expert, ou du juge d’instruction agissant en présence de la mise en examen assistée de son conseil en application de l’article 97 du même code, hormis si l’on se base sur la jurisprudence découlant de l’article 81 du Code de Procédure Pénale sur les actes de recherches et de constatations en matière de Police Technique et Scientifique [5].
 
Cependant la portée de l’acte pouvant être réalisé avec très limité… Dans le domaine de la police technique et scientifique traditionnelle, il s’agit de la détermination d’un groupe sanguin, la pesée d’un projectile, etc.. En investigation numérique, il s’agit de la copie d’un support numérique, d’une extraction de donnée simple. Le reste des opérations rentrant dans le champ de l’expertise telle qu’elles sont évoquées aux articles 156 à 167 du Code de Procédure Pénale.
 
Les résultats de ces examens suivant les instructions du Magistrat, seront quant à eux notifiés aux parties (auteur, victime) par l’OPJ requérant en application de l’article 60 du Code de Procédure Pénale. En tout état de cause, lors de l’audition d’un mis en cause, les preuves, les éléments techniques lui sont généralement produits pour qu’il s’explique.
La personne qualifiée va prêter serment, briser le scellé et établir un rapport des opérations qu’’elle a réalisées..
 
[1] arrêt n° 2008/00436 Chambre de l’Instruction C.A GRENOBLE du 11.09.2008
[2] Cour de cassation – Chambre criminelle du 15 octobre 1984 N°83-93.689
[3] FTK Imager, Tableau Imager, Guyimager, etc
[4] Contrairement à l’article 77-1 et 60 du CPP qui prévoit le recours à une personne pour des opérations techniques et scientifiques en enquête préliminaire et en Flagrance, les articles 99-3 et 99-4 du CPP ne prévoient quant à eux que l’obtention de documents, y compris ceux issus d’un système informatique.
[5] L’article D7 du CPP prévoit le recours à des « personnes qualifiées appartenant aux organismes spécialisés de la police nationale ou de la gendarmerie nationale » mais il ne confrère pas le droit de le requérir. Aucun article dans le CPP ne liste ces organismes spécialisés (Ex laboratoires dits de PTS, service locaux ou départementaux). Il est simplement question de la compétence territoriale de ceux-ci (Ex : BDRIJ). A cet effet, la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour de Cassation du 04.11.2010 (N°: 10-84389) n’est pas dénué d’intérêt : « Les fonctionnaires appartenant à un service de police judiciaire chargé, par le procureur de la République, d’effectuer des actes d’enquête peuvent procéder à des constatations et examens, même techniques, sans intervenir comme personnes qualifiées au sens de l’article 60 du code de procédure pénale. Ils ne sont, dès lors, pas soumis au serment prévu par ce texte »
Extrait de l’arrêt :  » Attendu que, pour écarter le moyen tendant à l’annulation de ces opérations, réalisées avec l’assistance de techniciens n’ayant pas prêté serment, ainsi que des actes subséquents, l’arrêt retient que, s’agissant de l’assistance apportée par un policier à un autre policier appartenant, l’un et l’autre, à un service dépendant de la direction générale de la police nationale, l’auteur des investigations, n’avait pas la qualité de personne qualifiée au sens de l’article 60 du code de procédure pénale et n’était donc pas tenu de prêter le serment prévu par ce texte ;
Attendu qu’en cet état, dès lors que les fonctionnaires de police ayant assisté l’officier de police judiciaire appartenaient au service de police judiciaire, que le procureur de la République avait chargé d’effectuer les actes, et pouvaient donc procéder à des constatations et examens même techniques sans intervenir comme personnes qualifiées au sens du texte précité, les juges ont justifié leur décision ;  « .

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